E. Deuber Ziegler u.a.: Les femmes dans la mémoire de Genève

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Titel
Les femmes dans la mémoire de Genève, du XVe au XXe siècle.


Autor(en)
Deuber Ziegler, Erica; Natalia Tikhonov
Erschienen
Genève 2005: Editions Suzanne Hurter
Anzahl Seiten
305 p.
Preis
ISBN
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Françoise Dubosson

Ce début de siècle marquerait-il le besoin d’une sorte de bilan? La multiplication des publications portraiturant les femmes du passé et du présent de la Suisse romande, ces deux dernières années, semblerait l’indiquer1. Crainte d’une perte de mémoire du fait du manque flagrant de transmission par les canaux officiels ou conscience accrue que dans les questions féminines, rien n’est jamais acquis, quelles que soient les raisons de ces entreprises, leur convergence ne peut relever du simple hasard des politiques éditoriales.

L’une des dernières parutions en date, Les femmes dans la mémoire de Genève, du XVe au XXe siècles, sous la direction de Erika Deuber Ziegler et Natalia Tikhonov, présente pour sa part les portraits de 86 figures féminines, toutes disparues, qui ont marqué chacune à leur manière l’histoire de Genève. Succinctement décrit de la sorte, il pourrait sembler ne s’agir que d’un album commémoratif destiné à rendre hommage, ou justice, à des femmes tombées dans l’oubli de l’histoire officielle masculine. Or l’ouvrage se révèle bien plus que cela, dans sa structure comme dans son contenu.

Chacune des cinq grandes parties chronologiques qui le composent, les deux premières allant du début du XVe siècle au milieu du XIXe, les trois suivantes de la Révolution radicale à nos jours, sont magistralement introduites, tout comme les divers chapitres thématiques qui les subdivisent. Les notices biographiques, ainsi
contextualisées avec soin, mises en relation les unes avec les autres, permettent de dégager, de très concrète façon, les luttes majeures que les femmes ont dû mener au fil des siècles: combat pour l’autonomie, pour l’éducation, pour l’égalité des droits, pour une citoyenneté complète. Certains portraits se détachent par la souffrance qu’on peut y lire à travers les lignes, comme celui de Marie Dentière qui, homme du XVIe siècle, eût sans doute été un théologien remarquable mais qui, femme, fut forcée de se taire, ou de Camille Vidart, féministe si profondément déçue des échecs successifs des votations sur le suffrage féminin durant l’entredeux-
guerres qu’elle en fut atteinte dans sa santé. D’autres étonnent par la modernité des figures qui y sont peintes, tous font la preuve de la ténacité qu’il a fallu aux femmes, depuis si longtemps, pour parvenir à la simple reconnaissance de leurs aptitudes. En tant que lectrice, il y aurait presque de quoi, parfois, se sentir un peu écrasée par toutes ces ancêtres si résolues et valeureuses.

De tous ces textes, un élément ressort avec force, le rôle central de l’éducation. Jusqu’au XIXe siècle, la plupart des femmes présentées proviennent de milieux privilégiés du point de vue politique, économique ou culturel. Des pères, des maris conscients des capacités de leurs filles, de leurs épouses, prêts à leur donner une éducation solide ou à leur permettre de mener la vie active qu’elles souhaitent sont souvent nécessaires à la réalisation des talents qui nous sont présentés. Relever ce point ne signifie pas minimiser la valeur des combats féminins, loin s’en faut, mais permet plutôt de mettre l’accent sur le déterminisme qui pèse jusqu’alors sur les femmes. L’accès de plus en plus facilité à l’éducation, et tout particulièrement l’éducation supérieure, ouvre de façon remarquable les horizons des jeunes filles issues de milieux plus populaires. Le chapitre sur l’accès des femmes à l’Université ou encore celui sur les femmes de carrière au XXe siècle sont à cet égard éloquents.

Une part significative de l’ouvrage est également consacrée aux artistes, musiciennes de talent comme Caroline Boissier-Butini, peintres sur émail ou sur toile telle la si énergique Amélie Munier-Romilly, écrivaines à l’image de Noëlle Roger aujourd’hui totalement oubliée, critique d’art, ce qu’était Lucienne Florentin, ou encore femmes de théâtre telles Greta Prozor ou Ludmilla Pitoëff. Personnalités souvent injustement méconnues, la plupart de ces artistes mériteraient bien plus que quelques lignes et ce devrait être l’un des mérites du livre que d’inspirer de nouvelles recherches.

Tout est d’ailleurs fait pour y inciter, à commencer par les abondantes bibliographies rassemblées à la fin de chaque partie, générales ou plus particulièrement consacrées aux femmes portraiturées. A ce propos, il faut souligner le considérable travail d’édition réalisé afin d’assurer l’homogénéité des textes et des appareils critiques rédigés par les 56 auteurs réunis pour l’occasion. Une recherche iconographique d’une grande qualité, qui rassemble des images toujours pertinentes, souvent issues de collections privées et peu connues vient encore enrichir le volume. Certes, on pourrait sans fin interroger la présence de telle personnalité, regretter des absences, discuter certains regroupements. Il n’est par exemple pas certain que Mme Denis, parente, amante et égérie par ailleurs fort intéressée de Voltaire, supporte bien la comparaison avec ses voisines de chapitre, l’illustre Mme de Staël et l’efficace et charmante salonnière du Congrès de Vienne, Anna Eynard-Lullin. C’est là un risque inhérent à ce genre d’ouvrage, mais aussi finalement l’une de ses vertus: amener chaque lecteur à réfléchir à ses propres conceptions de la célébrité féminine, imaginer sa sélection et surtout, par comparaison, mieux comprendre les raisons de ses choix.

Au final donc, ce livre présente de nombreux éléments de grande valeur, ce qui fait d’autant plus regretter l’absence d’un index des noms qui aurait permis de retrouver aisément les 86 personnalités traitées par des notices, ainsi que les nombreuses femmes citées dans les introductions sans faire l’objet d’un article plus détaillé. Et l’on attend encore plus impatiemment une histoire globale des femmes à Genève et en Suisse romande, une entreprise complexe et longue, certes, mais dont cet ouvrage laisse pressentir combien elle pourrait être fructueuse.

1 Citons pour exemple Corinne Dallera et Nadia Lamamra, Du salon à l’usine, vingt portraits de femmes: un autre regard sur l’histoire du canton de Vaud, Lausanne, 2003; Marie-France Vouilloz Burnier et Barbara Guntern Anthamatten (dir.), Valaisannes d’hier et d’au - jourd’hui: la longue marche vers l’égalité, Sierre, 2003; Florence Hervé et Brigitte Mantilleri, Histoires et visages de femmes, Yens-sur-Morges, 2004; Pionnières et créatrices en Suisse romande, XIXe et XXe siècles, Genève, 2004. Chez nos voisins français, France Culture a consacré en mars dernier pas moins de 25 émissions à Michelle Perrot et à l’histoire des femmes

Citation:
Françoise Dubosson: compte rendu de: Erica Deuber Ziegler, Natalia Tikhonov (dir.): Les femmes dans la mémoire de Genève, du XVe au XXe siècle. Genève, Ed. S. Hurter, 2005,. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, Vol. 55 Nr. 3, 2005, S. 362-363.

Redaktion
Veröffentlicht am
02.12.2011
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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